Un grand cœur pour les plus démunis
« J’ai commencé la médecine par passion et fondamentalement je m’intéressais aux personnes démunis. Je tiens ça de ma mère qui m’appris que dans la vie, on n’a pas tous les mêmes privilèges. C’est ainsi que je me suis dit : je vais faire de la médecine pour aider les pauvres. Après mes études j’ai eu beaucoup d’opportunités de travailler ailleurs mais j’ai saisi ma chance d’aller travailler à l’hôpital de Saint-Joseph qui s’occupe principalement des patients défavorisés. La mission de l’hôpital est d’offrir des soins de qualité aux personnes à faible revenu.
En traitant des fistules, je prends en charge les femmes pauvres parmi les pauvres : ces femmes n’ont pas eu l’accès à des soins de santé pour accoucher.
Elles ont dû accoucher dans de mauvaises circonstances, ont vécu des accouchements qui ont duré plusieurs jours et c’est à cause de ces circonstances que la fistule survient. Une maladie qui n’a pas seulement un grand impact physiquement avec beaucoup de douleur et la perte d’urines et de selles, mais aussi mentalement à cause de la honte et de la stigmatisation. Parfois ces femmes sont rejetées par leur famille à cause de leur condition. Ce sont vraiment des personnes très en marge de la société. C’est ça qui m’a motivée, je voulais leur rendre leur humanité. »
L’importance du dialogue avec le patient
« Après les actes chirurgicaux, il y a encore un long processus mental à endurer. Physiquement nous réparons le mieux possible les femmes mais mentalement, elles restent encore affectées à cause de la honte et la stigmatisation. Les urines’ coulent’ encore dans leurs têtes, elles sont très marquées. Du coup, le dialogue avec le patient est très important : si un bon accompagnement mental est fait, on peut les détraumatiser. La prise en charge de la santé mentale est donc aussi essentielle que les actes chirurgicaux. Actuellement, c’est encore un maillon faible dans la prise en charge parce qu’on n’a pas cette possibilité. On fait ce travail le mieux que possible en tant que médecin, mais l’apport d’un spécialiste en psychologie est essentiel et ce qui nous manque actuellement. »
Redonner la vie aux femmes
« Notre accompagnement mental consiste à expliquer aux femmes comment la maladie des fistules se développe, que c’est un accident qui est arrivé à cause des mauvaises conditions lors de leur accouchement et que ce n’est pas de leur faute. Savoir qu’elles ne sont pas à blâmer est un premier pas important. Lors d’une visite à notre hôpital, la ministre de la coopération Belge m’a dit une phrase qui m’est restée :
Dites aux femmes qu’elles ne sont pas des victimes, elles sont des survivantes. Elles ont le droit à la vie.’ C’est ce que nous faisons, mon équipe et moi.
Maman pour mes patients
«En parlant avec les femmes je mets ma main sur leur bras, c’est un geste spontané qui a un grand impact : en touchant une femme qui se considère comme moins que rien après ce qu’elle a vécu, elle regagne la confiance, elle se valorise davantage. En la touchant, je lui transmets en quelque sorte la vie. Mes patientes m’adressent rarement en tant que docteur. Grâce au lien de confiance, elles m’appellent maman. Tout en respectant le rapport entre médecin et patient évidemment. »
Un dialogue délicat
« Lors des dialogues avec les patientes ou leur famille, il y a souvent des questions sensibles qui s’expriment. Par exemple des femmes demandent si elles peuvent encore avoir des enfants, ou un mari qui m’appelle pour poser la même question. Comme ce sont des sujets sensibles et question éthique pour ne pas passer des infos par téléphone, je demande toujours aux personnes concernées de venir à l’hôpital pour en parler. On ne sait pas qui est au bout du fil et si la question est bienveillante. Ce n’est pas toujours évident. C’est aussi pour ces cas-là qu’on aurait besoin de psychologues qui pourraient les accompagner. »
Sensibilisation et partage d’expérience
« Après leur guérison les femmes prennent souvent revanche sur la société. Elles retournent à leur communauté. Elles vont se laver dans la rivière avec les autres femmes, sans se cacher. J’ai eu une patiente qui m’a raconté que dès qu’elle est rentrée, elle a enlevé son pagne pour montre aux autres qu’elle avait une culotte propre, qu’elle était guérie. C’est ainsi que ces femmes informent et sensibilisent d’autres femmes affectées sur le fait qu’une guérison est possible. C’est comme cela que d’autres femmes trouvent leur chemin vers l’hôpital. Cette sensibilisation indirecte est très importante.
Afin d’atteindre plus de personnes, on a aussi fait un travail avec ‘les ambassadrices’ qui sont les femmes guéries et racontent leur histoire comme témoignage à la radio locale. Dans les communautés, avec les plus dynamiques nous avions essayé de créer des groupes de soutien sur cette thématique. Partager d’expériences dans la communauté fait partie de la réintégration.
A l’hôpital, on a même inclus sur la fiche de prise en charge des patients avec des fistules, une question qui nous donne l’information sur comment les femmes ont reçu l’information, sur les soins gratuits à l’hôpital. Ceci pour bien comprendre quels types de communication et de sensibilisation sont nécessaires. »
La rôle de la famille
« Les femmes jeunes sont souvent accompagnés à l’hôpital par leur mère, père ou mari. Eux aussi jouent un rôle important non seulement dans la réintégration de leur fille ou épouse dans la communauté, mais aussi dans la sensibilisation. Souvent les gens du village savent qu’une famille a fait un long voyage pour accompagner leur fille ou épouse. Dès qu’ils reviennent, la communauté leur pose des questions et c’est à ce moment que la famille peut briser les préjugés de culpabilité et partager ces expériences pour aider d’autres femmes. »
Travail de toute une vie
« Je veux continuer à prendre la place de la société qui a marginalisé et maltraité les femmes avec des fistules. »
Je veux rendonner leur vie aux femmes atteintes de fistules. Je continuerai à le faire même après mes activités de travail. C’est une passion qui ne me quittera jamais